La volatilité de la main-d’œuvre force les entreprises à innover : elles ne peuvent plus seulement se contenter d’attirer des talents de l’étranger ou d’inciter les travailleurs proches de la retraite à demeurer plus longtemps en poste. Elles doivent aussi investir sans attendre dans la transformation technologique de leurs processus d’affaires.

Certes, les travailleurs expérimentés jouent un rôle clé du point de vue de la productivité. Mais le retour au travail de cette génération ne sauvera pas l’économie, comme le constatent les chercheurs de l’Institut du Québec, qui insistent sur le fait que retenir les préretraités ou inciter les retraités à revenir sur le marché du travail ne réglera pas la crise actuelle de la main-d’œuvre.

Ainsi, le taux d’activité des Québécois de 60 à 69 ans est de 39,1 %, un des plus faibles du monde industrialisé (ce taux est de 46,3 % en Ontario). Si tous les retraités de cette tranche d’âge reprenaient du service, seulement 37 000 personnes s’ajouteraient sur le marché du travail québécois. Une goutte d’eau, ou presque, car, les employeurs ont 255 000 postes à pourvoir et selon cet article depuis septembre, le marché de l’emploi est en croissance d’un océan à l’autre.

Et la situation ne s’améliorera pas au fil du temps, puisque 78 % des travailleurs québécois de 45 ans et plus prévoient prendre leur retraite à 65 ans ou avant, selon l’Institut de la statistique du Québec. Pire : les trois quarts des personnes de 55 à 70 ans ne retourneront pas travailler, peu importe les conditions, selon un récent sondage de la Banque du Canada.

C’est sans mentionner l’effet qu’auront sur les organisations les récentes vagues de démissions. Ces derniers temps, de nombreux travailleurs ont quitté leur emploi en raison d’un épuisement, d’autres ont profité de la pandémie pour se réorienter ou se sont laissés tenter par de meilleures conditions de travail ailleurs. Ajoutons au cocktail le phénomène des « démissions silencieuses » (quiet quitting) : ces employés qui se contentent de faire le strict minimum au travail — tout juste ce qu’il faut pour ne pas être congédiés.

Cette « volatilité de la main-d’œuvre », comme l’appelle la firme Gartner, affectera négativement 40 % des organisations d’ici 2025.

Investir dans l’automatisation
C’est pour toutes ces raisons que les entreprises doivent investir dans des solutions technologiques comme la robotisation et, surtout, l’intelligence artificielle (IA). Et elles doivent le faire maintenant.

Car de tels bouleversements prennent normalement beaucoup de temps à s’instaurer dans la société. Ainsi, seulement 3 % des entreprises américaines étaient branchées à l’électricité 20 ans après que Thomas Edison eut inventé l’ampoule électrique, rapportait récemment le Harvard Business Review dans un article rédigé par Ajay Agrawal, Joshua Gans, and Avi Goldfarb. Une passivité qui n’a pas changé depuis un siècle, malgré la course technologique actuelle.

Pourquoi les entreprises tardent-elles à prendre le virage de l’IA? En posant la question à Chat GPT, un chatbot lancé par OpenAI en novembre 2022 qui a rendu accessible l’utilisation de l’intelligence artificielle, nous apprenons que les entreprises peuvent être lentes à adopter l’IA pour plusieurs raisons. Principalement, implanter cette technologie implique de changer des comportements, de faire évoluer les compétences et bouleverse en profondeur l’infrastructure de l’entreprise.

L’IA n’est pas une solution miracle, mais elle joue un rôle très important pour assurer l’avenir des organisations. Elle permet de changer la gouvernance et les processus d’affaires pour que l’entreprise puisse se concentrer sur sa mission première, sans être distraite par des contraintes comme la crise de la main-d’œuvre.

L’IA permet surtout de prendre de meilleures décisions grâce aux prédictions faites avec de la donnée. Pour ce faire, un dirigeant doit faire preuve de clairvoyance et de jugement. Si le jugement est essentiellement un processus intuitif, influencé par l’expérience, la culture et l’environnement, la clairvoyance s’inspire de faits et de données. Et l’IA est experte dans le traitement de l’information provenant de montagnes de données.

L’IA et l’automatisation peuvent toucher toutes les composantes d’une organisation. Surtout là où on a beaucoup de donnée et ou on a besoin d’humains qui font des tâches qui prennent du temps, qui sont répétitives ou qui offrent peu de valeur ajoutée. Ces innovations technologiques créent de la valeur en éliminant une large part de la bureaucratie : les tâches comptables répétitives, l’analyse de CV, la gestion de la paie, des stocks, de l’approvisionnement ou de l’infrastructure TI sont autant d’exemples. L’IA s’intègre aussi dans les systèmes actuels de gestion, comme les progiciels PGI (ERP en anglais) ou les logiciels de GRC (CRM en anglais). Elle peut dresser un portrait plus précis de la situation de l’organisation en tenant compte de facteurs souvent sous-estimés ou imprévus, car elle est apprenante.

Liée à la robotisation, l’IA permet en outre d’automatiser certaines tâches sur les chaînes de fabrication ou de logistique. Mentionnons IKEA, qui a fait appel à GreyOrange pour optimiser le traitement des commandes et transformer ses opérations : une innovation qui a valu au géant suédois le prix de la « Meilleure utilisation de la robotique » lors du Supply Chain Excellence Awards en 2021.      

Aujourd’hui, les chaînes de fabrication sont transformées par une nouvelle génération de robots. Ils sont plus agiles et sans danger. Ceux qui les manipulent n’ont pas suivi de formation postsecondaire spécialisée, car ils les commandent à l’aide d’icônes sur leurs tablettes numériques.

Mais ce type de virage ne s’improvise pas. Il demande une planification qui intervient à tous les échelons de l’entreprise. Il faut surtout identifier les goulots où les gains d’efficacité seront les plus élevés, en fonction de l’investissement et de l’effort requis pour implanter et gérer le virage. Pour s’assurer de connaître le succès, on doit se donner la peine de décrire les changements attendus, les requalifications, les étapes, les échéances, les coûts, etc.

Le pragmatisme est de mise, en faisant contribuer les cadres et, surtout, les employés. Car l’IA et la robotisation suscitent à la fois des craintes et la fascination. Ultimement, les employés doivent avoir la conviction non seulement que le virage améliorera leur expérience en les rendant plus efficaces, mais aussi qu’ils resteront utiles et appréciés, en continuant de faire ce que l’IA ne pourra accomplir, car seul l’humain peut humaniser les choses.

Ressources:

  1. https://www.lapresse.ca/affaires/chroniques/2023-01-06/mauvaise-nouvelle-les-emplois-augmentent.php
  2. lapresse.ca/affaires/chroniques/2022-10-13/les-vieux-ne-sauveront-pas-l-economie.php
  3. https://institutduquebec.ca/ IDQ, 2022 , A llonger les carrières : défis et opportunités pour pallier les pénuries de maind’œuvre
  4. https://hbr.org/2022/11/from-prediction-to-transformation
  5. https://www.gartner.com/en/newsroom/press-releases/2022-10-18-gartner-unveils-top-predictions-for-it-organizations-and-users-in-2023-and-beyond
  6. https://www.forbes.com/sites/bernardmarr/2022/10/19/the-disruptive-economic-impact-of-artificial-intelligence/?sh=3bd0e5b640b7
  7. https://www.economist.com/business/2022/09/08/why-the-fuss-over-quiet-quitting