C’est indéniable, les entreprises ont un impact environnemental et social important. Sous pression, elles doivent montrer qu’elles entreprennent de réelles actions envers une économie sobre en carbone et « nette positive ».

Sur les 100 organisations les plus puissantes du monde, toutes catégories confondues, 69 sont des entreprises, selon une étude de l’organisme Global Justice Now. Aussi, les entreprises ne peuvent plus évoluer en marge d’une société qui doit composer avec les conséquences des changements climatiques et de la pollution, ni faire abstraction des profondes iniquités sociales et mutations qui bouleversent le monde du travail.

D’autant plus que nous évoluons toujours dans un système économique qui n’a pas intégré la réalité d’un écosystème aux ressources limitées.

Depuis la révolution industrielle, l’économie de marché s’est emballée au rythme d’une croissance effrénée et continue qui n’est pas soutenable, comme les scientifiques le démontrent depuis des décennies.

L’obsession pour le PIB, un indicateur dont son créateur lui-même, Simon Kuznets, a fourni des contrindications précises, nous pousse à choisir de façon binaire entre croissance ou récession.

Les entreprises disposent pourtant d’un pouvoir énorme pour influencer le cours des choses. Elles peuvent notamment mobiliser leur chaîne de valeur afin de la mettre au service du changement. Hélas, dans une économie basée sur la quête de profit, soumise à un système qui ne considère pas les externalités sociales et écologiques dans la mesure de la « santé économique », elles n’ont pas tellement d’incitatifs concrets à progresser vers un monde plus durable. S’ajoute à cela le grand écart qui persiste entre les risques sociétaux et leur perception par les chefs d’entreprise, tel qu’illustré récemment par Marius André, directeur des développements d’affaire chez COESIO, lors d’un exercice comparatif entre le rapport annuel sur l’analyse des risques globaux du World Economic Forum et le rapport annuel des CEO 2023 de PwC.

D’ailleurs, selon un inquiétant rapport d’Oliver Wyman, les entreprises canadiennes sont sur une trajectoire de réchauffement de 3,3°C (comparativement à une cible planétaire de 1,5°C, selon l’Accord de Paris), alors que la majorité des organisations qui déclarent leurs émissions n’ont pas adopté de cibles de réduction claires, précises et alignées sur la science.

Prendre part au mouvement
La transition vers une économie sobre en carbone incite les dirigeants d’entreprise à composer avec un environnement social, géopolitique, économique et physique qui exige d’adopter de nouvelles méthodes de gestion, de travail et de production. Qu’elles soient des PME ou des géantes de l’économie, les organisations doivent gérer des risques environnementaux, sociaux et réputationnels; des risques nouveaux et souvent imprévisibles.

Les entreprises se retrouvent donc sous pression. Les institutions financières et le public s’attendent à ce qu’elles se comportent adéquatement, qu’elles démontrent qu’elles ont entrepris le virage du développement durable. Elles doivent prouver qu’elles font preuve de leadership et d’imagination, qu’elles changent leurs façons de faire.

Le virage de chacun
Nombre d’entreprises ont déjà pris le nécessaire virage de la décarbonation et du ‘nette positif’. Elles adoptent des pratiques ESG (environnementales, sociales et de gouvernance) et elles transforment leurs processus d’affaires en conséquence. C’est un bon premier pas, mais ce n’est pas suffisant. Aujourd’hui, chaque entreprise a le devoir de définir des cibles et d’assumer ses responsabilités sociales et environnementales.

Par ailleurs, les entrepreneurs et les dirigeants d’entreprise sont aussi des humains. Ils comprennent que, comme citoyens, ils doivent aussi changer leurs habitudes et user de leur influence pour inciter leurs organisations à se transformer à leur tour. Ils savent en outre que cette transformation n’entraîne pas que des contraintes : bien des initiatives de développement durable influencent positivement la profitabilité en améliorant la performance et, surtout, les outils de gestion.

Cela dit, les dirigeants d’aujourd’hui peuvent avoir du mal à y voir clair, car les réponses au défi environnemental sont multiples, souvent floues, et les données incomplètes. Comment définir sa responsabilité sociale et écologique ? Comment inclure les externalités dans un plan d’affaires et intégrer les valeurs sociale et écologique dans un système conçu autour d’une conception de la réussite économique héritée de la révolution industrielle ?

La clé réside peut-être dans la double matérialité : un concept qui vise à considérer les impacts de l’entreprise sur l’environnement, mais aussi ceux de l’environnement sur l’entreprise.

Lorsque les réglementations et les outils de mesure rendront obligatoires l’inclusion des externalités dans les états financiers, alors la réussite économique pourra être atteinte dans le respect du contrat social et écologique. Des efforts en ce sens sont déployés. À l’échelle mondiale, on assiste à la transformation des normes comptables internationales pour y intégrer le développement durable depuis la création de l’International Sustainability Standards Board (ISSB) par l’IFRS Foundation en 2021. Cette transformation se traduit par une exigence de transparence accrue de la part des entreprises, qui devront dévoiler leurs initiatives ESG et en mesurer les impacts. Comment une organisation a-t-elle réduit ses émissions de GES ou sa consommation énergétique ? Comment une entreprise manufacturière a-t-elle modifié ses techniques de fabrication pour diminuer les risques en santé et sécurité au travail ? A-t-elle audité sa chaîne d’approvisionnement pour s’assurer que ses fournisseurs étrangers traitent bien leur main-d’œuvre ? A-t-elle adopté de nouvelles normes d’emballage pour réduire son empreinte environnementale ?

Ces initiatives, parmi tant d’autres, sont louables, mais elles doivent être chiffrées pour ne pas être taxées d’écoblanchiment (greenwashing). Et, surtout, pour en mesurer l’impact financier. Les dirigeants doivent donc en faire une affaire personnelle : ils doivent mobiliser toute l’organisation et commencer par se doter d’un plan, qui doit établir des cibles et identifier des moyens concrets pour les atteindre.

Un écosystème éclaté
Comme lors de toute transition majeure, avant d’y voir clair, il faudra sans doute élaborer une multitude de scénarios possibles et tester autant d’idées. Le marché des outils pour soutenir la transition écologique des organisations explose. Selon le site du Fonds Écoleader, le Québec compte pas moins de 350 experts en développement durable, et de nombreuses certifications (BCorp, EcoVadis, ISO, etc.) et modèles de mesures sont à la disposition des entreprises. Comment s’y retrouver ? Comment choisir le bon outil ?

À l’heure actuelle, à peine 5 % des entreprises québécoises sont « avancées » dans la mesure de leurs émissions de GES selon le Baromètre de la transition des entreprises du Québec, produit par l’organisme Québec Net Positif. Afin d’aider davantage les entreprises, les politiques publiques et programmes de soutien auraient intérêt à être plus simples, accessibles et garantis.

Par où commencer ?
Comme l’explique l’organisme Québec Net Positif, une « économie sobre en carbone » est une économie à faibles émissions de gaz à effet de serre (GES) et résiliente aux changements climatiques. La première étape pour une entreprise est donc de mesurer son empreinte environnementale et d’établir des cibles de réduction de GES telles qu’établies par le Science Based Targets initiative (SBTi) et le Greenhouse Gas Protocol.

Puis, afin de se rapprocher encore davantage d’un modèle de responsabilité sociale et écologique, une entreprise peut se faire certifier, par exemple par BCorp, qui couvre la majorité des enjeux de façon approfondie. Cette certification peut s’avérer un facteur de mobilisation et d’inspiration pour les employés. Elle agit comme un thermomètre au sein de l’entreprise : avec son système de points, cette certification permet d’entreprendre des actions positives concrètes.

Il importe toutefois de se doter de cibles sur des thématiques précises et propres à sa chaîne de valeur afin de maximiser les efforts consacrés au processus de certification.

Le scénario idéal vers lequel une entreprise devrait tendre ? Devenir « nette positive ». On s’assure alors de mesurer l’impact global de sa chaîne de valeur, en incluant l’impact positif social et écologique de son modèle d’affaires.

Pour y parvenir, l’entreprise doit tenter de répondre à cette grande question : quels sont nos indicateurs de mesure de succès, et sont-ils corrélés avec notre réussite économique ?

En fin de compte, l’idée est de chercher à savoir si la société et les écosystèmes sont mieux nantis avec (ou sans) l’entreprise.

Ressources: